Note: Il s’agit du frère jumeau du Prince Philippe Antoine de Talmont
CHARLES-GODEFROY-AUGUSTE, prince abbé de la Trémoïlle, comte de Laval, est né à Paris, le 27 décembre 1765 .
Il fit ses études au Plessis, et fut destiné à l’état ecclésiastique. Il était appelé à succéder au cardinal de Rohan dans le siège de Strasbourg. Né avec de rares talents, doué d’une grande facilité d’élocution, il eût occupé sans doute une place distinguée dans sa licence, mais la révolution vint l’obliger à quitter le séminaire.
En 1793, il parvint à faire échapper son frère, le prince de Talmont, des prisons d’Angers.
Alors que toute sa famille avait émigré, on lui avait fait des donations simulées de tous les biens, afin de prévenir les séquestres et les confiscations. Dans la distribution des rôles, le sien était de veiller aux intérêts communs. C’était une espèce d’enfant perdu qu’on avait laissé en France pour correspondre, régir le bien, en faire passer les revenus. Il paraît qu’il s’acquittait à merveille de la commission dont il s’était chargé. Il confia à plusieurs de ses compagnons d’infortune, qu’il avait fait six fois le voyage d’Angleterre, et qu’il en était de retour peu de jours avant son arrestation. Il contait même que dans l’un de ces voyages, par une nuit affreuse et dans un temps d’hiver, le vaisseau qui le portait fut brisé par la tempête ; qu’il se sauva à la nage et fut jeté, comme par miracle, sur le rivage, à quelque distance de Boulogne-sur-mer, seul endroit où il put trouver du secours.
Il spéculait sur la vente des domaines nationaux. Il se vantait particulièrement d’une opération qui lui avait rapporté un bénéfice considérable. Il avait étudié deux choses depuis la révolution, l’agiotage et l’histoire ecclésiastique ; car il tenait, disait-il, à la religion de ses pères et il avait tout récemment fouillé dans un peu de théologie, comme un propriétaire fait rechercher ses titres, en cas de contestation.
Il était d’une jolie figure, et, à ce qu’il paraît, très bien auprès des femmes. Lorsqu’il racontait quelqu’une de ses aventures, c’était toujours “chez une femme de sa connaissance”. Ce qui fait qu’un prisonnier lui dit un jour : “Mais la Trimouïlle, de cette manière, vous ne connaîtrez jamais les hommes”.
Il connaissait parfaitement toutes les intrigues dont les comités de gouvernement d’alors étaient environnés. Il parlait souvent de la corruption de plusieurs membres ; des affaires qu’il avait terminées par ce moyen cependant : il ne révélait point le secret de ces intrigues, sinon qu’il indiquait avec trop de mystère “Chabot” comme l’un des hommes dont on tirait le meilleur parti. Il avait promis à un de ses camarades d’infortune de lui confier tout ce qu’il savait là dessus ; mais ils furent séparés brusquement, et celui-ci n’en a pas su davantage.
Il se passa un fait remarquable et qui prouve en effet qu’il était bien servi, non seulement auprès des comités, mais partout où la corruption peut pénétrer ; et où ne pénètre-t-elle pas ! Je ne sais quel membre de la Convention fit un jour beaucoup de tapage à l’assemblée, en criant qu’on punissait de “petits conspirateurs et qu’on laissait là les grands” : il cita pour exemple le prince Talmont qui était depuis plusieurs mois à la Conciergerie, et dont “la tête n’avait pas encore roulé sur l’échafaud”.
Un décret fut rendu qui ordonna à l’accusateur public de rendre compte de cette coupable négligence. La Trémouille sentit le coup ; il ne perdit point de temps, mit ses limiers en campagne, et l’accusateur public répondit qu’il avait vérifié l’état des prisonniers détenus à la Conciergerie ; qu’il avait pris des informations exactes sur les détenus des autres maisons d’arrêt, et qu’il pouvait assurer la Convention ou le comité de sûreté générale, que le prince Talmont ne se trouvait dans aucune de ces maisons : mais il se garda bien de dire que l’on avait fait un quiproquo, et qu’en effet il existait à la Conciergerie un frère du prince Talmont, et que c’était là la cause de l’erreur.
Non seulement la Trimouïlle échappa à cette alerte, mais il parvint à se faire transférer de la Conciergerie à l’hospice de l’Évêché, et pour qui a connu les difficultés de ces translations, ce n’est pas peu de chose. On raconte, à l’occasion de celle-ci, un fait qui mérite d’être conservé. La Trimouille devait être conduit dans un fiacre, accompagné seulement d’un gendarme. Sur le point de monter en voiture, il reconnaît le cocher pour avoir été dans sa maison ; le cocher surpris s’écrie : “Comment, Monsieur c’est vous ! Il continua à voix basse : “Mes chevaux sont bons, nous serons bientôt à la barrière, prenez”. Il lui donne un couteau. La Trimouille monte dans la voiture ; le cocher marchait lentement ; enfin ne s’apercevant pas qu’il se passât rien d’extraordinaire, il fut forcé d’arriver à l’hospice ; mais lorsqu’il ouvrit la portière, des regards où étaient peints l’indignation et le mépris, ne laissèrent pas de doute à la Trimouïlle sur la nature des reproches qu’il lui faisait. Il est assez difficile d’imaginer ce qui put le retenir. Croyait-il être hors de danger ? Craignait-il de commettre un assassinat ou de perdre l’homme qui voulait le sauver ?
Enfin le voilà à l’hospice de l’Évêché, éloigné de quelques pas du redoutable tribunal. C’était réellement un triomphe. Peut-être était-il sauvé, s’il eût été prudent ; mais, ô bizarrerie des choses humaines ! Dans cette même prison, et cependant dans un lieu séparé, était une princesse polonaise qui, détenue depuis quelque temps, avait conservé en prison les goûts qu’on lui connaissait dans le monde. Elle était belle, la Trimouïlle était fort beau garçon ; il en arriva comme de Danaé, l’argent brisa les verrous ; l’amour changea pour eux une garde-robe en boudoir ; ils y furent surpris, et le lendemain ou deux jours après, ils furent conduits à la Conciergerie et de là à l’échafaud, le 15 juin 1794. Ce jeune prince était déjà sous-diacre, et n’avait alors que 28 ans.